La taxe carbone n’est pas une taxe à la valeur ajoutée, et à moins que je ne me trompe, si l’Etat taxe l’entreprise, celle-ci comme tout bon patron qui se respecte va comptabiliser sa taxe dans son prix de revient. Je vais en tant que consommateur payer cette taxe. Maintenant, j’ai besoin de me servir de ce produit polluant notamment de l’électricité, et en tant que consommateur de pollution, l’Etat me taxe. Je repaye ainsi une seconde fois la taxe. Ce qui m’amène à payer deux fois la taxe.
De plus, je ne vois pas comment réduire ma facture, étant locataire, chauffé par un chauffage central commun à 48 logements, et si elle passe ainsi que le souhaite certains politiques à 32%, bonjour la facture.
Je ne comprends pas en tant que défenseur de l’environnement, que l’on veuille taxer le « transport public routier de voyageurs » alors qu’il faut au contraire tout faire pour donner envie aux automobilistes de laisser leur voiture au garage et de prendre les transports publiques.

Alain Lipeitz a répondu à ces questions dans un article pour Alternatives-économiques.fr

La décision (juste) du Conseil Constitutionnel pose un tas de problèmes enchevêtrés. D’abord, la plupart des gens (même écologistes de cœur) ne maîtrisent pas bien les différents outils publics de lutte contre les pratiques polluantes. Ensuite, la « taxe carbone » de Sarkozy est loin de ce que prônaient les écologistes et même de ce que proposait la commission Rocard. Enfin les arguments du CC sont pour la plupart justes mais pas tous. D’abord un petit rappel. Il y a 3 façons de lutter pour un meilleur environnement (en particulier contre l’effet de serre). La « vertu » d’abord, dirait Montesquieu : si les gens sont conscients et responsables, ils chercheront à se conduire de la meilleur façon possible. Mais pas tous. Le goût du pouvoir, du profit, de la technique devenue folle, doivent être refrénés par le Politique. Il peut le faire de deux façons : par des instruments réglementaires (par ordre de contrainte décroissante : l’interdiction, le rationnement/quotas, les normes), soit par des incitations économiques (écotaxes, subventions).

Déjà, la plupart des gens pensent que la méthode des quotas est « économique » et la méthode des écotaxes « politique ». C’est le contraire. La méthode des quotas est une stricte mesure administrative, que l’on peut en effet assouplir en autorisant ceux qui en ont « trop » à les revendre à ceux qui n’en ont pas assez. Par ailleurs on peut se demander comment distribuer les quotas : gratuitement, ou en les vendant aux enchères. Si les quotas sont vendus par l’État et peuvent être revendus, l’aspect « marché des quotas » (des permis de polluer) peut être inquiétant (et l’est dans certains cas, on n’en discutera pas ici), mais on oublie que, pour qu’il y ait marché , il faut d’abord que l’on ait institué un quantité totale rationnée (alors que jusqu’ici la pollution était libre et gratuite) !!

Dans la pratique, la méthode des quotas est la plus rigoureuse : elle permet la planification physique de la sortie de « l économie carbonée ». Mais elle n’est utilisable que si l’on sait mesurer la pollution réelle émise par l’agent disposant de quotas. L’Union européenne a institué un Système européen des permis d’émission de gaz à effet de serre réservé aux seules grosses unités de production (cimenteries, raffineries, centrales thermiques, aciéries, avions de ligne, etc). Et, pour le moment, les quotas sont distribués gratuitement selon les émissions passées (mais ça va changer : la vente aux enchères par l’Etat commence progressivement). Pour les centaines de millions d’autres agents, on compte sur la méthode « économique», les écotaxes.

Les écotaxes sont une méthode incitative strictement marchande : on augmente les prix et on espère que les agents économiques (entreprises, ménages, administrations) feront plus attention !

C’est un instrument de ce type, la taxe carbone Sarkozy, qui vient d’être retoqué par le CC. Pourquoi ? parce que les exemptions prévues créaient trop d’inégalités. Les Verts approuvent cette décision. On peut en discuter, mais il faut d’abord revenir aux objectifs généraux d’une écotaxe.

Une écotaxe poursuit deux buts en même temps. D’abord, comme toutes les taxes, rapporter de l’argent à l’Etat. Cet argent sert à la redistribution, à l’investissement public, à n’importe quoi. On peut « affecter » une taxe à un usage ciblé, mais c’est assez formel. La taxe actuelle sur les carburants, la TIPP, a été créée il y a des décennies, alors qu’on se souciait de l’effet des serre comme de l’an 40. Elle a eu pourtant des effets très positifs (mais involontaires) : les voitures françaises sont plus petites et moins gourmandes que là où la fiscalité sur le carburant est plus faible (ces différences ont permis d’ailleurs de mesurer avec précision l’effet des changements de prix sur les automobilistes, par exemple).

Toutes les taxes ont en effet une « assiette » (ce qu’on taxe), et il peut être intelligent de choisir bien leur assiette, car les citoyens vont avoir tendance à réagir à une taxe en limitant son assiette. Par exemple « l’impôt sur les portes et fenêtres » a eu de effets architecturaux et hygiéniques dramatiques !

Le second but des écotaxes est justement de viser une assiette « nuisible », que l’on cherche à limiter. Les Verts parlent de « taxer la pollution plutôt que le travail ». L’institution d’une taxe « énergie carbone » a pour effet d’inciter à polluer moins et permet, par exemple, de diminuer les cotisations sociales et d’augmenter les minima sociaux et la prime à l’emploi. Les deux buts sont parallèles.

Encore faut-il que l’écotaxe elle-même ne soit pas « distributrice à l’envers ». C’était le cas de la taxe carbone de Sarkozy : elle excluait tellement d’entreprises, qu’elle taxait en fait surtout les ménages, même si un mécanisme compliqué permettait ensuite une petite redistribution en faveur des plus pauvres.

Ce sont ces exemptions qu’a invalidées le CC.

Soyons honnête : même si le caractère trop peu redistributif de la taxe carbone avait été dénoncé par les écologistes (par exemple ici même), cet angle d’attaque n’est pas le plus incontestable et ne fut pas privilégié par eux. La décision du CC vise le fait qu’il y a deux régimes de contraintes écologiques (pour les grandes entreprises, les quotas, pour les autres, la taxe), ce qui, compte tenu des autres insuffisances du projet Sarkozy, apparaît en effet injuste. Mais le CC ne se contente donc pas d’invalider les exemptions, il invalide le projet, ce qui permet de tout remettre à plat, et c’est heureux.

Il faut donc se réjouir de cette décision, mais il est légitime d’en discuter les arguments.

Ainsi, arguent certains (pas seulement le gouvernement mais aussi des économistes keynésiens, progressistes mais productivistes), ces exemptions étaient légitimes. En effet les grandes entreprises exemptées sont celles qui sont déjà contraintes par le système européen des quotas. Certes. Mais d’une part les ménages eux aussi sont contraints par les normes pesant sur les équipements qu’ils achètent, et d’autre part les quotas sont gratuits actuellement pour les grands pollueurs ! Oui , mais demain les entreprises devront les acheter ? A voir. Le « paquet énergie-climat » de décembre 2008 prévoit lui aussi quantité d’exemptions.

Je suggère ceci : tant qu’une entreprise n’a pas à acheter ses quotas à l’Etat, elle reste au régime commun et paie la même taxe carbone que les particuliers et les administrations. Quand les quotas seront vendus, ce prix de vente deviendra un à-valoir sur les écotaxes dues à l’usage.

D’autres critiques ont été soulevées.

Première critique générale : « Quand on ne gagne pas beaucoup , une nouvelle taxe est une perte insoutenable en pouvoir d’achat. » Ça dépend exclusivement de ce que l’Etat fait du revenu de la taxe ! S’il la redistribue aux plus pauvres, cela permet au contraire d’améliorer leur niveau de vie. D’une façon générale, une politique des revenus plus égalitaires est un but en soi, indépendamment des écotaxes.

Seconde critique : « Je ne peux rien changer à ce que je consomme ». C’est rarement vrai (mais ça l’est parfois, on le verra). On peut toujours conduire plus lentement et souplement. Les Suédois en sont à 109 euros la tonne de CO2 (la taxe Sarkozy était de 17 euros la tonne soit 4 centimes par litre d’essence). Mais ils y sont venus progressivement, ménages et entreprises ont pu choisir au fil des ans les techniques les plus économes. Dans le tiers monde, on ne taxe pas le carburant au nom du « développement ». Résultat : le Tiers monde consomme trois fois plus d’énergie pour faire n’importe quoi que les Européens. Si une politique plus responsable avait été mise en œuvre plus tôt, on n’en serait pas là…

Quelques critiques particulières.

1. « La taxe carbone n’est pas une taxe à la valeur ajoutée, et si l’Etat taxe l’entreprise, celle-ci comme tout bon patron qui se respecte va comptabiliser sa taxe dans son prix de revient. Je vais en tant que consommateur payer cette taxe. Maintenant, j’ai besoin de me servir de ce produit polluant notamment de l’électricité, et en tant que consommateur de pollution, l’Etat me taxe. Je repaye ainsi une seconde fois la taxe. »

L’exemple ne colle justement pas : la taxe Sarkozy ne taxe pas l’électricité ! Mais aux yeux des écologistes c’est un tort. D’abord, le nucléaire est aussi dangereux que l’effet de serre. Mais l’objection appelle une remarque générale : en tant qu’incitation à économiser l’assiette sur laquelle elle porte, une écotaxe ne doit pas être une TVA, c’est à dire déductible à chaque transaction, sinon seul le client final « ressentira » la taxe et sera incité à faire des économies.

Tous les agents sont en effet appelés à économiser l’énergie et en particulier l’énergie fossile. Une centrale thermique doit être la plus efficace possible, et l’entreprise d’énergie (EDF…) y veillera d’autant plus que le prix de vente au client est imposé soit par l’Etat, soit par la concurrence. Et le client doit être incité à choisir la meilleur façon de l’utiliser (choix des lampes, des appareils et du niveau de chauffage…)

Le client ne paie pas deux fois la même taxe, il paie deux étapes du gaspillage éventuel de l’énergie. Ajoutons qu’aujourd’hui il n’est plus captif de son entreprise d’électricité…

2. « Je ne comprends pas, en tant que défenseur de l’environnement, que l’on veuille taxer le « transport public routier de voyageurs » alors qu’il faut au contraire tout faire pour donner envie aux automobilistes de laisser leur voiture au garage et de prendre les transports publics. »

Mêmes réponses : les économies doivent être incitées à tous les niveaux, pour toutes les techniques. Si l’on abandonne sa voiture pour un bus, on diminue d’un facteur 8 ses pollutions, et si on passe au tram d’un facteur 20… Mais ça n’empêche pas les transporteurs et leurs fournisseurs de rechercher aussi l’efficacité : une flotte de bus, ça finit par peser dans le bilan carbone d’une agglo ! D’autant que, comme l’électricité, le prix du ticket pour l’usager est très « politique» (il ne paie en moyenne qu’un tiers du coût). Ce prix et la subvention reçue étant fixés, au transporteur de faire attention.

3. « Je ne vois pas comment réduire ma facture, étant locataire, chauffé par un chauffage central commun à 48 logements ».

Ce problème des usagers captifs est en effet insoluble par la seule méthode de la taxe. Il faut (ce fut débattu au Grenelle) que la facture des charges soit individualisée, et que le propriétaire d’un immeuble collectif soit contraint par des normes.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/lipietz/2010/01/03/invalidation-de-la-taxe-carbone-sarkozy-le-cc-a-raison/#more-15